L'illectronisme ou « l’inclusion numérique » comme nouvel enjeu

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Le secrétariat d’État au numérique évalue à près de 13 millions le nombre de Français se considérant en difficulté avec le numérique. Ces derniers n’utilisent pas ou très peu Internet et estiment son usage complexe. Autre chiffre marquant : près de 40% des Français se disent angoissés à l’idée de devoir effectuer des démarches administratives en ligne. On comprend aisément que les personnes en situation d’illettrisme ou de handicap (visuel par exemple) se trouvent particulièrement mises en difficulté.

Bien que le taux d’équipement des citoyens français en ordinateurs ou en smartphones n’a jamais été aussi important, des gestes quotidiens qui nous paraissent simples peuvent s’avérer être de véritables défis pour ceux ne maîtrisant pas l’usage du numérique : répondre à une offre d’emploi, remplir sa déclaration d’impôt, obtenir une carte grise, ou encore suivre en ligne la scolarité de ses enfants…

C’est ce que l’on appelle l’illectronisme. Cette non-maîtrise des usages numériques concernerait, tout âge confondu, près de 15% de la population. Certains individus, bien que possédant un smartphone et utilisant les réseaux sociaux, ne sont pas forcément en mesure d’envoyer un courriel ou d’utiliser les outils bureautiques de base. D’autres, comme le rappelle Hervé Fernandez, directeur de l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme (ANLCI) : « peuvent savoir lire, écrire, mais bloquent devant un ordinateur. Aujourd'hui, l'informatique est incontournable, notamment pour les démarches administratives : une case mal cochée ou l'absence d'adresse e-mail peuvent avoir de lourdes conséquences ».

illectronisme en France

L'illectronisme, définition

Selon l’INSEE, une personne est en situation d’illectronisme dès lors qu’elle ne maitrise aucune capacité numérique. Eurostat, la direction générale de la Commission européenne chargée de l'information statistique, a identifié 4 domaines de compétences numériques :​

  • la recherche d’information,
  • la communication,
  • la résolution de problèmes,
  • et l'usage de logiciels.

Dans ses enquêtes, l’INSEE précise que « les compétences dans ces quatre domaines sont définies à partir des usages déclarés, et non de la capacité à réaliser les usages ». Il en est déduit un « indicateur global de capacité numérique ». Cet indicateur global se décline en 4 niveaux de maîtrise des outils numériques

Ces 4 niveaux de maîtrise sont :

  • « l’illectronisme », pour les personnes n’ayant aucune capacité numérique. Elles n’ont pas utilisé internet au cours des 12 derniers mois ou ne possèdent pas les compétences numériques de base,
  • « la maîtrise faible » : les individus maîtrisent au minimum une incapacité dans un des 4 domaines,
  • « la maîtrise » : la personne ne dispose d’aucune incapacité,
  • « la maîtrise élevée » : les usagers ont des compétences développées dans chaque domaine.

État des lieux de l’illectronisme en Hauts-de-France

En 2019, l’INSEE a réalisé auprès des ménages une enquête sur les technologies de l’information et de la communication (TIC). Cette étude a permis dans un second temps d’établir un état des lieux de l’usage du numérique en Hauts-de-France.

Premier constat, l’usage du numérique s’intensifie année après année. En 2019, on évalue en région à 7 personnes sur 10 le nombre d’individu se connectant quotidiennement à internet. Dix ans auparavant, ils étaient un peu moins de la moitié.

800 000 personnes en situation d’illectronisme en Hauts-de-France

La part des personnes âgées de plus de 15 ans en situation d’illectronisme est de 17% en région, ce taux est équivalent au niveau national. Cela concerne donc régionalement 800 000 habitants. Pour rappel, l’illectronisme désigne les personnes n’ayant pas les capacités numériques de base et ne s’étant pas servis d’internet au cours des 12 derniers mois. Par compétences numériques de base, on entend les capacités d’utiliser le numériques pour rechercher des informations, communiquer, résoudre des problèmes et faire l’usage de logiciels.

Sur ces 17%, 9 personnes sur 10 n’ont pas utilisé Internet dans l’année. Les autres individus utilisent Internet sans pour autant avoir les compétences numériques de base, comme défini ci-dessus.

Au niveau régional, on évalue à 1 600 000 le nombre de personnes ayant une faible maîtrise du numérique (1 habitant sur 3). Ces derniers ont au moins une incapacité dans les quatre domaines de base. Leur difficulté se concentrent principalement dans l’usage de logiciels.

1 300 000 habitants des Hauts-de-France maîtrisent les compétences de base numériques

A l’opposé, un quart des habitants des Hauts-de-France dispose d’une maîtrise élevée dans les 4 domaines de compétences d’Internet, cela représente 1 300 000 personnes.

Les seniors, premiers concernés par l’illectronisme

L’illectronisme touche l’ensemble de la population âgée de 15 ans et plus, toutefois, les seniors sont davantage concernés. En effet, parmi les personnes en situation d’illectronisme, 7 personnes sur 10 à plus de 60 ans. Alors que cette même tranche d’âge ne représente que 3 habitants sur 10. En effet, l’illectronisme tend à être davantage représenté dans les catégories les plus âgées de la population. Cela concerne 12% des 45-59 ans, 28% des 60-74 ans et 67% des personnes âgées de 75 ans et plus.

Le niveau d’étude et la CSP influence le taux d’illectronisme

Si en région 34% des pas ou peu diplômés sont concernés par l‘illectronisme, ce phénomène ne touche que 2% des diplômés du supérieur. Par ailleurs, 2% des cadres sont affectés par l’illectronisme, 7% des artisans, 11% des ouvriers. Ce taux s’élève jusqu’à 23% chez les agriculteurs.

Pour conclure l’enquête de l’INSEE met en exergue le faible écart en matière d’illectronisme entre les territoires ruraux et urbains.

En revanche, l’illectronisme est nettement plus fréquent dans les territoires de la Thiérache, du Ternois, au sud du littoral et à l’est de la Somme. La part des habitants plus âgés et pas ou peu diplômés étant plus importante. Par ailleurs, la proportion des ouvriers, des agriculteurs et des personnes au chômage est plus prégnante dans ces territoires.

Des actions en faveur de l’inclusion numérique

L’étendue des services dématérialisés étant si vaste, que la maîtrise des outils informatiques peut devenir cruciale ou être à l’origine d’une part importante de non-recours aux droits.

Pour remédier à ce phénomène, certaines institutions s’organisent. Ainsi, le Centre Communal d’Action Sociale d’Amiens a mis en œuvre en mars 2017 un « plan numérique ».

Ce plan agit sur plusieurs niveaux :

  • établissement d’une cartographie des services numériques de la ville d’Amiens,
  • installation de bornes d’accès aux services publics dans chaque quartier de la ville,
  • mise à disposition de « coffre-fort numérique » permettant de stocker des documents administratifs dans le « cloud »,
  • formation des travailleurs sociaux pour faciliter l’usage du numérique,
  • mise en place d’un programme de formation au numérique à l’attention de 800 seniors par an.

zoom_in Pistes et bonnes pratiques pour rendre le numérique accessible à tous

Lors de la conception et de la mise à jour d’un site Internet

  • Réfléchir en amont à l’approche ergonomique d’un site pour limiter le nombre de clics à effectuer afin d’accéder à une information
  • Constituer un comité d’usagers pour recueillir leurs impressions
  • Clarifier les contenus écrits
  • Formuler des phrases simples de compréhension

Pour accompagner les individus en difficultés

  • Sensibiliser le personnel interne à l’inclusion numérique
  • Identifier et former des médiateurs ou des aidants numériques
  • Mettre à disposition des usagers un site « miroir » permettant « aux aidants de simuler les démarches en ligne sans manipuler les données personnelles de la personne accompagnée »
  • Repérer et mesurer les compétences numériques d’un individu, via la plateforme en ligne d’évaluation PIX
  • Repérer localement les lieux d’accès et de formation au numérique

 

zoom_in Expérimentation : le « pass numérique » pour faciliter l’accès au numérique

Afin de contribuer à lever les freins des individus en difficulté avec le numérique, le Gouvernement prévoit l’expérimentation d’un « pass numérique ».

Ce pass permettra à toute personne d’être orientée vers un lieu de médiation au numérique au plus proche de sa situation géographique. Ces lieux de médiation bénéficieront d’une labellisation de la part du préfet, afin de garantir un cahier des charges et un niveau minimum de services rendus. Le pass octroiera, d’autre part, l’accès à cinq ou dix ateliers de formation permettant d’accroître l’autonomie numérique des bénéficiaires.

Sources
Dans les Hauts-de-France, le défi de l'illectronisme, l'illettrisme numérique
Stratégie nationale pour un numérique inclusif
Enquête annuelle de l’INSEE auprès des ménages sur les technologies de l’information et de la communication
INSEE, État des lieux de l’illectronisme en Hauts-de-France


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